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Tuesday, May 22, 2007

*Quelles sont les convictions européennes de Nicolas Sarkozy ?*


*** Quelles sont les convictions européennes de Nicolas Sarkozy ?
de Sabine Seifert

L'Europe attend la France depuis des mois. L'élection du nouveau président a entériné un changement de génération. La politique européenne profitera-t-elle de la rupture promise par Nicolas Sarkozy ?

"Ce soir, la France est de retour en Europe", annonçait le nouveau président français Nicolas Sarkozy après son élection, le 6 mai 2007. L'Europe a appris cette nouvelle avec soulagement : "Les soupirs de soulagement ont été si forts à Bruxelles qu'après sa victoire on a soigneusement ignoré certains autres propos de Nicolas Sarkozy concernant l'UE", observait Peter Winkler le 7 mai dans le Neue Zürcher Zeitung. Nicolas Sarkozy a en effet évoqué ces nombreux citoyens "qui perçoivent l'Union Européenne non comme une protection, mais comme le cheval de Troie de toutes les menaces que portent en elles les transformations du monde."

Le thème de l'Europe a été quasi inexistant dans cette campagne présidentielle, et même Nicolas Sarkozy n'a pas encore présenté un concept très percutant de l'Europe politique. Il n'a pris position que sur quelques points particuliers : sur le plan économique, il tend à protéger les intérêts de la France et critique la Banque centrale européenne ; en politique extérieure il est hostile à l'entrée de la Turquie dans l'UE; et quant au débat sur le traité constitutionnel, il propose un mini-traité qui pourrait être ratifié en France sans référendum.

La présidence de Sarkozy donnera-t-elle de nouvelles impulsions à l'Europe ? Quelles alliances pourraient en résulter ?

L'Europe et la mondialisation

Durant sa campagne électorale, Nicolas Sarkozy s'est présenté comme un réformateur et un modernisateur, tant en politique intérieure qu'extérieure – non sans une note de patriotisme. Qu'ils réagissent de manière positive ou sceptique, la plupart des commentateurs le considèrent comme quelqu'un de pragmatique. En politique européenne, Nicolas Sarkozy a donc fait naître l'espoir qu'il pourrait réussir, en partenariat avec la présidente allemande du Conseil européen, Angela Merkel, à rapprocher les différentes positions existant au sein de l'UE.

Cela explique que la victoire de Nicolas Sarkozy ait particulièrement attiré l'attention des Britanniques, qui espèrent trouver en lui un allié qui cautionne le libéralisme économique de la Grande-Bretagne et partage sa position minimaliste sur la Constitution européenne. Le Premier ministre sortant, Tony Blair, a envoyé via YouTube un message vidéo amical en langue française, et le député travailliste David Blunkett a également exprimé sa satisfaction dans le Times du 8 mai: "Nous pourrons faire affaire avec monsieur Sarkozy."

Dans le quotidien britannique The Independent, Mary Dejevsky a en revanche qualifié de "pure illusion" l'idée que Nicolas Sarkozy devienne soudain un adepte enthousiaste de la mondialisation. Et dès le 7 mai, David Hearst formulait cet avertissement dans le Guardian : "L'Europe protectionniste progresse… La conception sarkozyenne d'une Europe en tant que protection collective contre la mondialisation est diamétralement opposée à celle du commissaire européen au commerce, Peter Mandelson, qui considère l'Europe comme un joueur sur le marché mondial."

La Grande-Bretagne n'est pas la seule à redouter que les convictions de Sarkozy ne soient beaucoup moins européennes que nationales et protectionnistes. En particulier les Européens de l'Est et les nouveaux membres de l'UE s'inquiètent. Dans la Gazeta Wyborcza du 7 mai, Jacek Pawlicki exprimait la crainte que le protectionnisme économique de la France ne s'étende à toute l'Union européenne : "Sarkozy défendra une Europe avec des droits du salarié aménagés, une UE à tendance protectionniste à l'égard des pays 'à bon marché' et plus concurrentiels, comme la Pologne. Sarkozy veut lutter contre les délocalisations d'entreprises et les transferts de capitaux à l'étranger. Il pourrait donc y avoir à ce sujet un conflit entre la France et la Pologne, ou plus exactement entre Paris et les nouveaux pays membres."

La question de la Turquie

Nicolas Sarkozy pourrait également provoquer des conflits au sein de l'Union à cause de la question turque. Lors du débat télévisé avec son adversaire socialiste Ségolène Royal, le 2 mai, il a bien insisté sur le fait qu'il était hostile à l'adhésion de la Turquie et que de toute façon ce pays était en Asie mineure et non pas en Europe.

Pourtant, l'Union européenne mène des négociations officielles avec la Turquie, et il est même prévu d'ouvrir de nouveaux chapitres de négociation avant la fin de la présidence allemande en juin 2007. "Dans un premier temps, Berlin ne soumettra au vote aucune ouverture de chapitre afin d'éviter un veto français", spéculait le Financial Times Deutschland du 8 mai.

Pour sa part, l'autrichien Josef Kirchengast ne croit pas que Sarkozy, devenu président, restera fidèle à son refus de la Turquie : "Pourrait-il se permettre, en tant que président de l'un des deux principaux pays de l'Union européenne, de manquer à sa parole vis-à-vis d'un pays reconnu candidat, alors qu'il n'est pas du tout établi que le pays en question remplisse les conditions d'adhésion ?... Il est bien plus probable qu'il fasse preuve de pragmatisme ici aussi."

Méditerranée contre mer Noire

"Sarkozy a exprimé sans ambiguïté ce que souhaitent la majorité des Européens", écrivait Razvan Ciubotaru le 7 mai dans le journal roumain Cotidianul, commentant les propos de Nicolas Sarkozy sur la Turquie. Ciubotaru a également soulevé un aspect géopolitique de la question qui intéresse particulièrement la Roumanie à cause de sa côte sur la mer Noire : "En fermant la porte au nez de la Turquie, il se pourrait que Sarkozy ait ravivé le problème du Kurdistan. Et l'UE perdra son influence sur la mer Noire."

On sait bien, en France, que Sarkozy s'intéresse plus à la Méditerranée. Le critique du Figaro Alain Barluet supputait déjà le 8 mai que Nicolas Sarkozy utiliserait la prochaine évaluation de la Commission "pour chercher à réorienter [les négociations] vers une option s'articulant avec son grand projet d'Union méditerranéenne."

Une Constitution "light"

Les hommes politiques et médias européens fondent néanmoins de grands espoirs en Nicolas Sarkozy pour trouver une solution au blocage de la Constitution européenne. Grâce à l'idée de remplacer le traité refusé par une variante allégée, on pourrait éviter de soumettre un nouveau référendum à la France. Alois Berger écrivait ainsi dans le Berliner Zeitung du 8 mai que les propos de Nicolas Sarkozy "permettent d'espérer qu'il veut réellement surmonter le blocage de l'Europe. Sarkozy est un pragmatique davantage qu'un idéologue".

Mais cette sorte de pragmatisme n'est pas du goût de l'autrichien Thomas Mayer, qui déplorait dans le Standard du 8 mai : "Ceux qui s'adonnent un peu trop vite au pragmatisme disent rarement le prix qu'il en coûte : le Parlement européen, qui représente directement les citoyens, serait moins consulté pour les questions d'environnement, de sécurité intérieure et de droits civiques. A l'inverse, le pouvoir des gouvernements serait accru. Les chefs de gouvernement veulent élaborer ce 'mini-traité' entre eux, alors que les parlements ont été fortement impliqués dans la Constitution européenne."

Vieilles alliances et nouveaux moteurs

Si Mayer craint que les petits pays ne tombent sous la coupe des plus grands comme l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, c'est notamment à cause d'une formule de Nicolas Sarkozy, qui a parlé de confier la direction de l'Europe à un "club des six ". Le politologue français Dominique Moisi, qui enseigne à Varsovie, s'est demandé dans un texte pour Project Syndicate quels pourraient être ces six pays: "Toutefois, la Pologne s'est exclue elle-même du cercle des pays politiquement pertinents et l'Espagne et l'Italie n'ont pas caché leur soutien à Ségolène Royal." Moisi en conclut à une relance de l'alliance franco-allemande.

A l'inverse, Miriam Hollstein exprimait le 8 mai 2007 dans Die Welt sa crainte de voir "la fin de la relation traditionnellement privilégiée entre la France et l'Allemagne. N. Sarkozy n'a jamais montré un intérêt particulier pour son voisin d'outre-Rhin."

De nombreux chroniqueurs estiment que le changement de génération et la personne de Nicolas Sarkozy suffiront à entraîner de nouvelles alliances au sein de l'Europe. "Le nouveau président français est plutôt un transatlantiste qu'un transrhénaniste", écrivait Alain-Xavier Wurst dans Zeit Online le 7 mai. Pour l'autrichien Wolfgang Böhm, il est clair qu'avec Nicolas Sarkozy, qui a des racines hongroises et juives, c'est un "Européen de parade" qui est devenu président de la France, comme il l'écrivait dans Die Presse.

Cependant, Nicolas Sarkozy a affiché pendant sa campagne une tendance nationaliste, se prononçant pour une stricte restriction de l'immigration. Wolfgang Böhm faisait remarquer le 10 mai dans Die Presse que la tendance française à la renationalisation s'étend à toute l'Europe. "Avec Nicolas Sarkozy en France, les frères Kaczynski en Pologne et Gordon Brown en Grande-Bretagne, la nouvelle génération qui arrive au pouvoir incarne fortement le scepticisme des gens par rapport au vaste monde et en particulier vis-à-vis de l'Union européenne… Si l'antithèse de la renationalisation succède à la thèse d'une européanisation nécessaire adoptée après la guerre, ce n'est pas un drame. Car la synthèse de ces deux positions aboutirait peut-être finalement à une politique européenne pragmatique."

Eurotopics
22.05.2007

*Photo: AP

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