*HUB «DIGITAL DIPLOMACY» «DIPLOMATIE NUMERIQUE»* BY MORGANE BRAVO

Thursday, June 21, 2007

*A quoi servent les peuples ?*


*** Le projet de nouveau traité sur lequel les Vingt-Sept pourraient s'accorder en fin de semaine reprend les principaux éléments de la Constitution rejetée par les Français et les Néerlandais. Encore une fois, la machine européenne passe outre l'avis des citoyens, s'offusque un chroniqueur du Financial Times. Un son de cloche très répandu outre-Manche.

"Ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d'en élire un autre ?" Ce commentaire satirique de Bertolt Brecht, le poète et dramaturge allemand, s'applique merveilleusement à la proposition de Berlin de ressusciter la Constitution européenne après son rejet. Il est amusant que ce soit Angela Merkel, chancelière allemande et ancienne citoyenne d'Allemagne de l'Est, qui soit tombée dans le piège. Car c'est ce régime que Brecht critiquait dans le poème qu'il a écrit après le soulèvement ouvrier de juin 1953.

La suggestion de Brecht était précédée d'une remarque encore plus adaptée à la situation d'aujourd'hui : "Le peuple […] a trahi la confiance du gouvernement, et ce n'est qu'en redoublant d'efforts qu'il peut la regagner." C'est précisément ce qu'ont fait les peuples européens, ou plutôt les peuples néerlandais et français. Ils ont rejeté un traité rédigé par Valéry Giscard d'Estaing, le plus éminent des hiérarques européens. Comment ont-ils osé ?
Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois avait déclaré à la veille des référendums : "Si c'est oui, nous dirons 'on poursuit' ; si c'est non, nous dirons 'on continue'." Il avait raison.

Est-il évident pour un être d'intelligence moyenne que l'Union européenne (UE) a besoin d'un nouveau traité qui, selon les propres termes de Mme Merkel, remplacera la Constitution moribonde mais "utilisera une terminologie différente sans modifier la teneur légale" ?
Pour justifier une entreprise aussi cynique, il faut une nécessité pressante, et pas seulement une convenance personnelle. Quelle est donc cette nécessité ? Je n'en vois guère, si ce n'est maintenir le cap sur une Europe encore plus fédérée. Certains tenants du traité demandent pourquoi l'on devrait s'y opposer dans la mesure où il n'aura qu'une faible incidence sur le fonctionnement de l'UE. Nul ne peut raisonnablement soutenir qu'un nouveau traité est à la fois sans importance et essentiel. Mais ses partisans ont raison : le traité est important, car il représente une nouvelle étape sur leur long chemin.

Le sommet de Bruxelles [des 21 et 22 juin] vise à trouver un accord sur les attributions d'une conférence intergouvernementale chargée de négocier le nouveau traité. Ce dernier abandonnera des éléments symboliques de l'ancienne Constitution et des références à la primauté des lois de l'UE, parce qu'ils sont superflus. Par ailleurs, la charte des droits fondamentaux figurera en annexe. Quant à savoir quel effet ces changements auront sur leur applicabilité, il est malaisé de le dire. J'aurais tendance à répondre "aucun".

Ce qu'on nous propose est plus qu'une simple opération de "nettoyage". Ce n'est pas une mince affaire pour les citoyens britanniques – ou d'autres peuples – d'accepter la légitimité des lois sur l'immigration ou la justice pénale imposées contre l'avis de leur gouvernement par les autorités des autres membres. De même, l'institution d'un président permanent du Conseil européen, d'un ministre des Affaires étrangères européen et d'un service diplomatique aurait pour effet de centraliser les prises de décision en matière de sécurité, fonction essentielle d'un Etat. Le rouleau compresseur des mesures progressives vers une "Union encore plus soudée" est en marche.

Martin Wolf
Financial Times
Courrier International
20 juin 2007

*Photo : AFP

No comments: