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Wednesday, February 13, 2008

*La Bulgarie : Un rapprochement à distance*




***Le bilan de la première année de la Bulgarie dans l'UE est mitigé. Si des déficits persistent dans la lutte contre la corruption, dans l'instauration d'un État de droit et dans le domaine des droits de l'homme, la société, elle, s'est mise en mouvement.

Malgré un certain nombre de réserves, la Bulgarie est devenue membre de l'UE le 1er janvier 2007, en même temps que la Roumanie. L'économie du pays s'est bien développée depuis. On estime que la croissance a atteint six ou sept pour cent en 2007, les investissements ont représenté 400 millions d'euros et le pouvoir d'achat de la population augmente. Le budget de l'État, qui était autrefois au bord de la faillite, enregistre même un excédent.

Mais ces évolutions économiques positives ne profitent qu'à certains groupes sociaux, comme les citadins, les jeunes et les plus diplômés. Les personnes âgées et la population rurale continuent à vivre dans la pauvreté. La situation sociale catastrophique d'un grand nombre de gens explique en partie la radicalisation et la criminalisation de la société bulgare. Ainsi, plus de 10 000 femmes bulgares sont victimes chaque année de "marchands de femmes" organisés – et ce ne sont là que les chiffres officiels.

Lorsque la Bulgarie est entrée dans l'UE, elle ne remplissait pas encore les critères de Copenhague relatifs à l'Etat de droit et à la défense des droits de l'homme. Le contrat d'adhésion prévoit des clauses de sauvegarde à utiliser en dernier ressort : si les réformes n'ont pas lieu dans les domaines problématiques, les subventions risquent d'être diminuées et les jugements des tribunaux ne seront pas reconnus.

La Commission européenne a annoncé que le rapport sur l'état d'avancement de la Bulgarie qui doit être publié fin janvier 2008 serait critique. La décision de l'application des clauses de sauvegarde a néanmoins été reportée à juillet 2008.

La presse européenne a également dressé un bilan critique de l'adhésion de la Bulgarie à l'UE. Ainsi, Doris Kraus écrivait le 2 janvier 2008 dans le quotidien autrichien Die Presse : "La plupart des politiciens reconnaissent officieusement que l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie était une erreur. Les faits le prouvent. En raison de leur situation politique et économique, ces pays ne réunissaient pas les conditions nécessaires à leur entrée dans l'UE et s'ils n'avaient pas été appâtés par la perspective de l'adhésion, ils auraient encore perdu du terrain."


Pression et progrès

A l'intérieur même de la Bulgarie, on voit très bien que les plus gros progrès ont été accomplis durant les années de rapprochement de l'UE et immédiatement avant l'entrée du pays. Depuis son adhésion, il y a eu peu d'efforts concrets pour atteindre les standards européens, même si le ministre de l'Intérieur Roumen Petkov a affirmé que le nombre des meurtres sur commande avait chuté, que les groupuscules criminels étaient démantelés et que les fonctionnaires corrompus avaient été renvoyés.

La situation réelle est très différente. C'est là-dessus que la Commission européenne a attiré l'attention dans son premier rapport intermédiaire sur le développement de la Bulgarie, paru le 27 juin 2007. L'organisation Transparency International a également critiqué le fait que la Bulgarie n'avait pas fait les progrès souhaités en matière de lutte contre la corruption.

Les Bulgares éprouvent au quotidien la réalité de la criminalité. A cela s'ajoutent plusieurs scandales de corruption spectaculaires, notamment autour du ministre de l'Économie et de l'Énergie, Roumen Ovtcharov. La société bulgare n'a aucune confiance dans sa police ni dans sa justice. Il était clair, trois mois après l'adhésion à l'UE, que la transformation structurelle, qui devait même dépasser les prescriptions de l'UE, n'avait pas été enclenchée. Car la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, indispensable pour cette transformation, n'était pas dans l'intérêt des décideurs bulgares, ou alors ils n'étaient pas en mesure de l'imposer.

Les Bulgares considèrent cette évolution avec un mélange de résignation, de honte et d'espoir, analysait le politologue bulgare Vladimir Shopov le 13 juin 2007 dans le quotidien Dnevnik. Ils espéraient selon lui que les institutions européennes seraient "en mesure de mettre un peu d'ordre dans le régime politico-criminel qui semble s'être établi pour longtemps". La déception est d'autant plus grande qu'il n'y a pas encore eu de sanction.

Le Süddeutsche Zeitung était au contraire d'avis, le 28 juin 2008, que c'était une erreur de miser sur les sanctions : "La Commission doit tout faire pour maintenir la cohésion de l'Europe et ne pas la diviser. Comment les citoyens roumains et bulgares se sentiraient-ils si leurs deux pays étaient cloués au piloris, si peu de temps après leur adhésion ?"


Un passé dans les services secrets

Un autre espoir a été déçu : celui de voir la Bulgarie, entrant dans la communauté de valeurs de l'UE, engager une espèce de processus d'autoépuration. Cela a été particulièrement manifeste lors des débats concernant les documents des anciens services secrets (DS).

Lorsqu'on a découvert que certains parlementaires, membres du parti et dirigeants politiques avaient un passé d'informateur – c'est notamment le cas du président Georgi Parvanov – l'establishment politique n'a pas jugé bon de faire son autocritique. L'espionnage n'était pas considéré comme incompatible avec les valeurs européennes. La société ne s'est pratiquement pas confrontée à son histoire.

C'est ainsi que la commission chargée des documents de la DS n'a toujours pas de bâtiment à sa disposition. L'accès du public aux dossiers des anciens services secrets, prévu par la loi, n'est donc pas encore garanti. "Quelle personne normale peut s'intéresser aux documents des services secrets communistes ?" a demandé le Premier ministre bulgare Sergeï Stanichev selon le journal Mediapool du 5 septembre 2007, alors qu'on le questionnait sur le passé des candidats socialistes aux élections communales.

Le journaliste Alexander Andreïev, dans le journal Dnevnik du 1er juin 2007, a condamné cette attitude qu'il juge sans scrupule, et il y voit une tendance générale à la renaissance de l'idéologie du KGB dans les anciens pays communistes.


L'UE et les infirmières bulgares

La libération des cinq infirmières bulgares enfermées dans les prisons libyennes a davantage intéressé l'opinion publique que les dossiers de la police secrète. Du point de vue de la Bulgarie, son appartenance à l'UE a joué ici un rôle important et positif.

La Libye avait maintenu les infirmières et un médecin palestinien en captivité depuis huit ans, car elle leur reprochait d'avoir volontairement infecté une centaine d'enfants libyens en utilisant des poches de sang contaminé par le virus du sida. Les médecins bulgares ont été condamnés à mort. Mais lorsque les condamnations à mort ont été confirmées, en 2007, l'Europe a réagi avec indignation.

Le journal estonien Postimees a mis le doigt sur les relations politiques en jeu : "En sa qualité de petit pays, la Bulgarie a du mal à faire entendre sa voix, mais sa position s'est clairement renforcée depuis son adhésion à l'UE en janvier 2007. Auparavant, on ne pouvait entendre que de timides témoignages de solidarité, mais aujourd'hui c'est la crédibilité de l'ensemble de l'UE qui est en jeu."


L'achat de voix serait une "pratique européenne"

Les premières élections communales depuis l'entrée du pays dans l'UE ont été une sorte de test pour son fonctionnement démocratique. Les élections ont été marquées par un nouvel intérêt de la part des dirigeants économiques locaux. Martin Karbovski est même allé, dans le Standart bulgare du 2 octobre 2007, jusqu'à les qualifier de bookmakers de la politique. Les entrepreneurs locaux ne voulaient plus se contenter du rôle d'instigateurs politiques, selon l'analyse publiée par la politologue Roumiana Batcharova dans le Dnevnik du 10 avril 2007. Les propriétaires immobiliers, les publicitaires et les grossistes se précipitent eux-mêmes dans la politique – et leur argent avec eux.

Entre 80 et 100 millions d'euros auraient été investis par différentes personnes et groupuscules pour acheter des voix lors de ces élections communales. Tel est le résultat d'une enquête réalisée par le Center for the Study of Democracy (CSD) en décembre 2007. http://www.mediapool.bg/show/?storyid=134528 Même des hommes politiques établis, comme le leader du Mouvement pour les droits et les libertés, Ahmed Dogan, ne trouvaient rien de répréhensible dans le fait d'acheter ces voix. Dogan estime que cela fait "partie de la pratique européenne".


Nouveaux mouvements sociaux

Durant sa première année au sein de l'UE, la Bulgarie a par ailleurs connu une nouvelle vague d'engagement citoyen. La critique de la politique bulgare depuis l'effondrement du communisme a certes créé des tensions dans la société, mais elle s'est aussi traduite par une nouvelle volonté de lutter ensemble pour la justice. "Hasard ou non, le fait est que l'entrée dans l'UE coïncide avec un certain nombre d'actions de protestation citoyennes. Depuis environ trois semaines, une vague d'actions et de manifestations publiques déferle sur notre pays" constatait Liuben Obrentenov le 30 janvier 2007 dans le journal Sega.

Il en a été ainsi toute l'année : se sont succédé les manifestations de solidarité avec les infirmières emprisonnées en Libye, les protestations des distillateurs contre les normes européennes, les manifestations des protecteurs de l'environnement pour défendre les réserves naturelles des côtes de la Mer noire contre les intérêts des investisseurs. Tout cela était l'expression d'une qualité nouvelle pour la Bulgarie.

Cette vague de protestations a atteint un paroxysme avec la grève des enseignants qui a agité tout le pays à l'automne 2007. 100 000 enseignants ont manifesté pendant 42 jours pour obtenir une réforme du système éducatif et l'augmentation de leur salaire mensuel (300 euros au lieu de 150). C'est la plus grande protestation qu'ait connue la Bulgarie depuis la fin du communisme. "Par leurs revendications salariales, les enseignants montrent qu'ils veulent être respectés" commentait Georgi Gospodinov le 5 octobre 2007 dans le quotidien Dnevnik. Il expliquait que la différence entre la Bulgarie et le reste de l'UE était particulièrement sensible dans la politique éducative : "A une époque où le monde entier investit dans le savoir, l'État bulgare affiche à l'égard des enseignants une relation étrangement distanciée."

Au terme d'une année en tant que membre de l'UE, c'est surtout la perception des Bulgares qui a changé – puisqu'ils peuvent maintenant faire une comparaison immédiate avec les autres pays membres. Svetoslav Terzieff dressait ce bilan dans le journal Sega, le 17 décembre 2007 : "Pourquoi nous éloignons-nous de l'Europe alors que nous nous y intégrons de plus en plus ? Il ne peut y avoir qu'une seule explication : ce rapprochement nous permet d'établir des comparaisons et de révéler ce qui nous différencie des autres pays."

de Diljana Lambreva
Eurotopics
11.02.2008


*Le centre de Sofia
Photo: European Commission/Vassil Donev

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