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Sunday, November 2, 2008

***La pénurie de diplômés conduit à une guerre de la matière grise...***

***Après la fuite des cerveaux, la guerre de la matière grise ? Cette perspective, agitée par le directeur adjoint de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) pour l'éducation, n'a rien d'invraisemblable. En postface d'un numéro de la revue Formation Emploi du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq) consacré à cette thématique, Bernard Hugonnier écrit ainsi que, face à la globalisation, "la question est de savoir si (...) la demande accrue de cerveaux à laquelle on peut s'attendre dans le monde sera satisfaite ou non par une production de capital humain en proportion. Tout conduit à en douter". Les pénuries qui frappent déjà certaines professions - les enseignants en Allemagne ou le manque de personnels de santé aux Etats-Unis par exemple - en sont les signes avant-coureurs.

Le fait que la santé et l'éducation figurent au premier rang des secteurs concernés ne doit rien au hasard. A la différence des centres d'appel que l'on peut délocaliser, ces services à "forte densité en capital humain, avec jusqu'ici de faibles gains de productivité potentiels", ne sont pas "échangeables". La "présence physique" des médecins et des professeurs est nécessaire sur le territoire, rappelle, dans le même numéro, l'économiste Annie Vinokur, soulignant à quel point les pays organisent la pénurie dans ces secteurs.

C'est ainsi que le Royaume-Uni a opté pendant des années, et jusqu'à un revirement récent, pour la venue massive de médecins étrangers. De même, les Etats-Unis, qui ont identifié un fort besoin en personnels de santé, n'ont pas envisagé de plan de formation massif de ces personnels. Ces fuites peuvent devenir, à l'échelle d'une région, un "jeu de chaises musicales" entre les pays, poursuit Mme Vinokur, évoquant le cas des médecins d'Afrique du Sud, partis vers les pays anglo-saxons et remplacés, dans les zones rurales, par des homologues "importés" des pays voisins.

Les pays les plus petits et les plus pauvres sont déjà les grands perdants de cette situation. Ainsi, le "taux d'émigration qualifiée" peut varier de "moins de 5 % dans les pays émergents à larges stocks, comme l'Indonésie, l'Inde, la Chine ou le Brésil, à plus de 50 % dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne, voire plus de 80 % dans des îles comme la Jamaïque, Haïti ou la Grenade".

Ces mouvements s'établissent dans un contexte d'un grand déséquilibre en matière d'investissement éducatif. Quand les pays développés affichent un taux de participation à l'enseignement supérieur proche de 50 %, les pays en voie de développement sont à moins de 10 %. Quand "l'élite scolaire" des pays de l'OCDE - c'est-à-dire le pourcentage des élèves atteignant à 15 ans les meilleurs niveaux de compétence en culture scientifique - est évaluée à 8,8 % des élèves, celle des pays en voie de développement ne dépasse pas 4 %.

Compte tenu du coût très élevé de la formation d'un diplômé, il y a peu de chances que les déséquilibres se résorbent. Vingt ans d'études représentent une dépense de près de 150 000 dollars (chiffre OCDE, 2004) par personne, une dépense à laquelle pays riches et pauvres ont tendance à rechigner. Un jeu "perdant-perdant" s'installe, au terme duquel "le pays qui exporte du capital humain, au vu des sommes investies et perdues, aura tendance à moins investir dans l'éducation tandis que le pays importateur aura naturellement tendance à faire de même puisqu'il peut compter sur l'investissement des autres pays", résume M. Hugonnier. Car le spectre d'une "guerre des cerveaux" se nourrit d'abord et avant tout d'un trop faible investissement des pays les plus riches dans l'éducation.

Maintenant que "le braconnage agressif des talents est devenu la règle", selon la formule d'Annie Vinokur, des solutions de compensation sont-elles envisageables ? Peut-on imaginer un "mercato" mondial des personnes hautement qualifiées, à l'image de celui des transferts de joueurs de football ? S'inspirer d'un tel modèle pourrait "justifier une augmentation de l'aide publique au développement, calculée à l'aune du nombre des expatriés par rapport au marché du travail du pays d'origine", propose Bernard Hugonnier. Autre idée avancée par l'expert : taxer "en proportion" les entreprises utilisant ces personnels.

LE MONDE
31.10.08

Brigitte Perucca

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